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Scritti Isulani
18 octobre 2010

Causerie avec Jérôme Ferrari.

Ce jeudi 14 octobre la librairie et l'association Detti é scritti accueillent Jérôme Ferrari pour une "causerie" autour de son dernier roman paru chez Actes Sud, où j'ai laissé mon âme. Devant un public bastiais, nombreux et attentif, Hélène Mamberti commence par présenter le jeune auteur corse qui participe pour la première fois à la fameuse "rentrée littéraire" 2010.

Hélène: Il semble que la place de la Corse s'amoindrit au fil de vos romans? Est-ce passager?

Jérôme Ferrari: Je ne suis pas d'accord, la Corse est toujours présente dans mes romans.

Le point de départ est un fait historique. En 1957, durant la bataille d'Alger, un chef important de l'ALN, est arrêté dans une de ses planques. Il est remis à un officier français qui le pend dans la nuit en annonçant son suicide. Certains officiers rendent les honneurs devant sa dépouille. L'algérien devient un héros dans son pays, notamment grâce à la photo lors de son arrestation, sur laquelle on le voit sourire dignement. Cela a fait exploser mon schéma manichéen.

Quand l'ennemi n'est pas visible, on donne aux renseignements une place centrale.

H.: Dans le roman, les deux officiers ont des liens très forts. Un peu comme un père et un fils.

J.F.: J'ai utilisé le jeu des sentiments asymétriques dans tout le roman. Mais les deux hommes vont finir par s'affronter. Degorce a des états d'âme. Pas Andreani. Pour lui, pratiquer la torture en ayant des états d'âme, c'est ignoble. Quand on fait des choses sales, il faut les faire correctement. La loyauté est supérieure à la vérité. Il fait tout ce qu'il faut pour que son clan gagne.

Mais je pense que dans la torture, il y a autre chose que la recherche de renseignements. Il y a de l'intime, du pervers, du sexuel. Il y a une porte ouverte sur l'humanité du bourreau et sur l'humanité de la victime.

J'ai voulu décrire des scènes obscènes sans le faire de façon obscène. La scène de torture du livre est écrite sur un mode sexuel sans qu'elle soit obscène. J'ai voulu éviter de rendre le lecteur complice. Le contraire de ce que fait par exemple Haeneke dans son film Funny games.

H.: Dans ce livre et le précédent, il y a des connotations religieuses: "Dieu" (Un Dieu un animal), "âme".

J.F.: C'est un thème très important dans mon écriture. Le rapport de l'homme à Dieu m'intéresse particulièrement.

H.: Aucune possibilité de rédemption pour vos personnages?

J.F.: J'aime mes personnages. Je ne pense pas les choses en ces termes. C'est aussi la logique du récit. Dieu s'est tellement détourné de Degorce qu'il ne le punit même pas.

Degorce expérimente une chose: l'essence de l'homme n'est pas de l'humain. C'est ce qui traverse la littérature des camps, que j'ai beaucoup lue. Chez Primo Levi, c'est honteux d'être un homme.

H.: Degorce n'arrive plus à écrire à sa femme. Est-ce parce qu'il faut une âme?

J.F.: Oui. Il ne peut plus parler en son nom propre. Il n'a plus de voix. Il n'est plus un sujet. Sauf avec son prisonnier. C'est la seule personne en face de laquelle il puisse parler.

H.: Votre regard est bienveillant pour vos personnages. Vous ne les jugez pas. Vous prenez-vous pour Dieu?

J.F.: Non. Car Dieu fait ce qu'il veut. Pas le romancier.

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Commentaires
R
Merci pour ce compte rendu, passionnant. J'apprécie beaucoup les éclaircissements de l'auteur concernant l'essence de l'homme : "l'essence de l'homme n'est pas de l'humain"... Terrible. Une littérature terrible que celle de Ferrari, je trouve.<br /> Concernant le rapport à la Corse, je trouve aussi qu'il est présent dans chacun de ses écrits. Ici sous la forme de la "terre ingrate" qu'on a quittée. Qui est aussi la terre qui a vu naître le meurtrier en Andreani. Et puis toutes ces guerres coloniales et cet ancien Empire français si important pour l'imaginaire corse.<br /> Merci encore de permettre de relancer ainsi le désir !
Scritti Isulani
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