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Scritti Isulani
27 avril 2011

Causerie avec Pierre-Joseph Ferrali

Mardi 19 avril, Hélène Mamberti recevait Pierre-Joseph Ferrali, à l'occasion de la sortie de son premier recueil de nouvelles.

"Si un jour on ne parle plus Corse en Corse, je ferai mes valises". Pierre-Joseph Ferrali est intransigeant. Fervant défenseur de la langue, le jeune auteur originaire de Cervioni, refuse cependant de voir les corses vivre "comme dans une réserve d'indiens". La langue doit être vivante, loin des idéologies et des cadres trop stricts d'une administration deshumanisée. Le jeune homme fait réagir l'auditoire par ses critiques du riacquistu, l'émeut quand il livre petit à petit son quotidien de créateur, son refus de s'intégrer à la "meute". Mais on sent bien que quelque chose s'est passé dans la littérature corse. Comme une cassure, une révolte contre les pères, ces modèles qui deviennent des rivaux, une affaire un peu oedipienne quoi! Son manifeste littéraire? La préface de Kessel à l'édition folio du roman de Steinbeck Des souris et des hommes: "là, dit-il, j'ai tout trouvé". Le modèle américain s'installe-t-il désormais dans notre paysage éditorial?

Hélène Mamberti: vous avez écrit cinq nouvelles. Votre écriture est très accessible en corse, et elle est en même temps très recherchée, et même poétique. Dans la première nouvelle L'omu chi marchja, qui est cet homme dont vous parlez?

PJ Ferrali: Un homme qui marche le long des routes de Corse, avec des sacs. Les gens s'arrêtent, lui parlent. Il réapparait l'été. J'ai trouvé que cela pouvait être intéressant qu'il devienne le personnage d'une de mes histoires.

En général, les personnages tapent à la porte de ma tête. Ils entrent et sortent. Le nom vient d'abord. On peut tout construire autour d'un nom. C'est un mystère de l'écriture que je ne maîtrise pas: un moment, tout bouillonne et s'anime. Peu importe la psychologie, elle se dessine peu à peu. Je suis incapable de dire ce qui va se passer dans mon récit, séance après séance. J'arrive lentement vers le coeur de l'action. J'aime perdre le lecteur, vairier les tonalités et les styles d'écriture. Je m'impose des séances d'écriture. Elles peuvent être longues et stériles. Et parfois il y a des fulgurances.

Je ne m'intéresse pas vraiment à la théorie de l'écriture, mais j'ai lu un jour la préface écrite par Kessel dans l'édition folio des Souris et des hommes de Steinbeck, et j'ai trouvé là tout ce que je ressens:

"Certains auteurs de l'Amérique du nord disposent d'un secret impénétrable. Ils ne décrivent jamais l'attitude et la démarche intérieures de leurs personnages. Ils n'indiquent pas les ressorts qui déterminent leurs actes. Ils évitent même de les faire penser.(...) Or ils vivent tous avec une intensité et une intégrité merveilleuses (...) Tirées du néant (...) ces créatures, tout à coup, existent."

H.M.: C'est une écriture du néant, où, finalement on a pas de point de vue.

PJ.F.: Je vais chercher mon inspiration chez les romanciers et les novelistes. Kundera disait qu'un écrivain n'est ni un historien, ni un prophète. Il est tout simplement un explorateur de l'existence. Marco Biancarelli commence son dernier livre, Vae vistis, par cette phrase: "tout est foutu". Il a raison.

H.M.: Effectivement, tous vos récits sont dramatiques. Ils mettent en scène tout ce qu'il y a de plus sombre dans l'être humain. Les innocents sont toujours des victimes. Est-ce votre vision de la société? Est-ce une façon pour vous de tirer la sonnette d'alarme?

PJ.F.: Non. Que la société meure, tant pis! Je refuse tout militantisme dans mon écriture. Je ne suis pas contre l'engagement social, mais je suis contre le dogme et la morale.

H.M.: Vous maniez l'art de la chute, et vous malmenez le lecteur, dans presque toutes les nouvelles. Notamment dans celle qui est intitulée Misericordia.

PJ.F.: C'est le roman de MCCarthy, Méridien de sang, qui m'a inspiré pour Misericordia. Il faut frapper, faire mal au lecteur.

H.M.: Il y a très souvent des références au Sacré, à la religion.

PJ.F.: Je pense à la fameuse phrase de Malraux "Ce siècle sera spirituel". Et bien non! On a à nouveau basculé dans le religieux et l'obscurantisme. L'actualité nous en donne des exemples chaque jour.

H.M.: Vous en faites un thème d'écriture. Vous sacrifiez les innocents, et vous tomber dans des archétypes très chrétiens.

PJ.F.: Je ne crois ni à la pureté ni à l'innocence. Malheureusement, le poids de notre éducation chrétienne est toujours très présent. On peut prendre des distances avec notre enfance, mais elle est le ciment de notre existence. Et en Corse, il y a ce poids de la religion! On le traîne de façon plus ou moins consciente. Notre société a des repères religieux. La religion nous oblige à croire. Il y a peut-être de l'espoir, mais pas de rédemption possible. Quant à la dernière nouvelle, le point de départ en a été une histoire entre un enseignant et une grand-mère d'élève. Cette femme a été accusée de violence par toute l'équipe éducative. Je me suis opposé à ce lynchage, dont finalement deux enfants ont eu à pâtir. Il m'est apparu que des actes très cruels peuvent être commis à partir du moment où les hommes se regroupent pour former des meutes. Comme Céline, je préfère n'être qu'un individu. C'est plus facile d'échapper aux massacres commis par la horde quand on est seul!

 

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